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Éditorial du Lugarn N°112 : Après l’Écosse

Après l’Écosse par Jean-Pierre Hilaire

En 1960, quand le livre de François Fontan « Ethnisme - vers un nationalisme humaniste » a été publié, les mouvements politiques d’émancipation des nations sans État en Europe occidentale, que ce soit en Écosse, au Pays basque, en Catalogne, en Flandre ou ailleurs étaient encore marginaux.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, Fontan partant de ses prémisses selon lesquelles la langue est l’indice synthétique de la nation, posait comme principe que chaque nation définie selon des critères ethno-linguistiques a droit un État indépendant et il prônait des relations égalitaires et amicales entre toutes les nations du monde pour mettre fin aux impérialismes d’où qu’ils viennent.

L’ethnisme redessinait ainsi la carte du monde, effaçant les frontières étatiques pour les remplacer par des frontières « ethno-linguistiques », correspondant aux langues. Malheureusement, à l’époque de la décolonisation en Afrique et en Asie, les nouveaux États furent définis par les puissances coloniales dans le cadre des frontières artificielles héritées de la colonisation et rassemblèrent des peuples qui n’avaient généralement pas envie de vivre ensemble, ce qui provoqua inévitablement des conflits ethniques souvent meurtriers.

Une application pragmatique de l’ethnisme aurait permis d’éviter bien des massacres. Depuis 1960, en Europe occidentale, après la fin de l’Union soviétique, nous avons assisté à l’éclatement de la Yougoslavie.

Si la Slovénie est devenue indépendante, les Serbo-Croates qui parlent la même langue se sont déchirés dans une guerre fratricide et sanglante et se sont séparés en quatre États.

Fort heureusement, les Tchèques et les Slovaques ne formant qu’un peuple ont divorcé à l’amiable.

Aujourd’hui, la plupart des États de l’Union européenne comptent une ou plusieurs minorités ethniques qui ont un degré de conscience nationale très inégal et dont les mouvements indépendantistes, quand ils existent, sont plus ou moins forts.

Si par exemple, les indépendantistes catalans sont au pouvoir à Barcelone et si le désir d’indépendance traverse toutes les couches de la société, les indépendantistes occitans ne sont encore qu’une poignée.

Un événement historique vient de se produire en Écosse le 18 septembre dernier avec la tenue d’un référendum sur l’indépendance, accepté par le gouvernement britannique. Même si les Écossais ont voté pour rester dans le Royaume Uni, 45 % d’entre eux ont tout de même voté pour l’indépendance, ce qui est encourageant pour l’avenir. Du reste, les indépendantistes écossais du SNP (Parti National Ecossais), au pouvoir à Édimbourg, n’ont pas tout perdu puisque la plupart des partis représentés au Parlement britannique ont promis de donner de nouveaux pouvoirs aux institutions écossaises.

Dans la Generalitat de Catalogne, le parlement a voté une motion, sous la pression de la société catalane, pour organiser la Consulta le 9 novembre sur l’auto-détermination de la Catalogne malgré l’opposition du gouvernement espagnol et le jugement du tribunal constitutionnel qui déclare cette consultation anticonstitutionnelle et donc illégale.

Le gouvernement catalan semble vouloir contourner cette interdiction par une consultation alternative plutôt que de passer outre.

Les Écossais, les Catalans et les Basques veulent l’indépendance dans l’Union européenne mais cette dernière n’est pas enthousiasmée par le démantèlement d’États-membres, refuse l’adhésion automatique et voudrait que les nouveaux États fassent une demande d’adhésion à l’Union.

Les États centralistes comme la France et l’Espagne feront pression pour maintenir le statu quo. Quoi qu’il en soit, un processus irréversible semble engagé et l’indépendance de l’Écosse, de la Catalogne, du Pays basque et de la Flandre n’est qu’une question de temps.

La première nation sans État qui deviendra indépendante en Europe occidentale provoquera sans doute un séisme sur le plan politique dont les conséquences sont difficiles à prévoir.

Les mouvements indépendantistes de l’Europe ne s’y sont pas trompés. Ils étaient nombreux à avoir envoyé une délégation à Édimbourg pour observer le référendum écossais.

Au delà de l’Europe, la situation en Irak et en Syrie et la progression de Daesh (État islamique) avec son cortège d’exactions barbares remet au premier plan la promesse faite jadis par la communauté internationale aux Kurdes de leur donner un État, promesse jamais tenue.

L’actualité internationale nous en apporte la preuve tous les jours, il ne sert à rien de maintenir des constructions étatiques fantoches comme l’Irak, seule une approche ethniste (explicite ou inconsciente) peut aider à construire une résolution pacifique des conflits, et notamment inspirer un nationalisme arabe, progressiste et laïc, qui en finirait avec les guerres de religion entre Sunnites et Chiites dans le monde musulman et l'oppression des minorités religieuses et nationales.

Quant à l’Occitanie, la plus importante nation sans État d’Europe, à cheval sur quatre États, et dont la conscience nationale est faible, peut-on envisager son indépendance un jour ?

Les Occitans d’origine sont formatés en tant que français et quand ils ont conscience d’être occitans, ils se pensent d’abord français.

L’Occitanie étant une terre d’immigration, elle se peuple de Français venus d’Outre-Loire, d’autres européens et d’immigrés venus surtout du Maghreb et d’Afrique noire. Très peu d’entre eux connaissent l’existence de notre langue et de notre culture et s’y intéressent. Ils sont encore moins nombreux à envisager l’autonomie ou l’indépendance. Même quand nos voisins catalans seront indépendants, cela ne leur donnera pas forcément l'idée d'en faire autant.

Les rares indépendantistes que nous sommes ne sont pas encore arrivés jusqu’ici à mordre véritablement dans l’électorat et à intéresser toutes les couches de la société, surtout les jeunes. Si nous ne gagnons pas les nouvelles générations, qu’elles parlent occitan ou non, à l’idée de décider chez nous au minimum, l’assimilation à la France aura réussi au bout de quelques siècles.

Toutefois, pour le Parti de la Nation Occitane, il y a lieu d’espérer car à l’époque de la mondialisation, l’identité française est en crise et c’est une des raisons pour lesquelles le Front National est aux portes du pouvoir. Or, nous avons à offrir à ces Occitans d’origine ou d’adoption non seulement une identité mais un pays et le choix de son destin et pas un repli frileux sur le pré carré français.

Comment ? En participant à toutes les élections possibles en alliance avec les autres forces occitanistes ou d’autres nations de l’État français, en existant en dehors des périodes électorales et pas seulement par voie de communiqués de presse.

Les partis politiques occitans ont des cadres qui vieillissent et peu de femmes, ils subissent, comme les autres, la crise de la représentation politique. Certes, c’est un problème difficile à résoudre mais peut-être est-ce aussi le moment de se montrer inventifs en matière de militantisme. Nous devons prendre toute notre place dans la société occitane, être partie prenante des questions qu’elle se pose sur son avenir et participer en tant que nationalistes à ses mobilisations légitimes et progressistes comme celle contre l’exploitation du gaz de schiste. A nous de jouer !

Alors après l’Écosse, la Catalogne et la Flandre demain, ce sera le tour de l’Occitanie d’entrer un jour dans le concert des nations.

15 octobre 2014

NB : La revue Lo Lugarn N°112 sera en ligne gratuitement en fin de semaine.

La revue Lo Lugarn N°112 sera en ligne gratuitement en fin de semaine.


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